mercredi, août 20

En Franisien...


_Tu n'as pas mis tes zentilles ?
_euh...quoi ??
_tes zentilllles je te dis !
_Ah ! mes lentilles...non.
fadurait bien que je m'y fasse un jour, je ne peux pas, maintenant on me surnomme la prof parce que je ne peux pas m'empêcher de corriger les féminins suspects, les "e" qui manquent, les lettres qu'on bouffe ou ceux qu'on injecte...bref ce qui semble être du français...
mais ce n'est pas que je voudrais que tout le monde parle un français correct, non, c'est pas ça mais je me dis que 20 ans derrière, et avec seulement 6 années d'études primaires, mon oncle parlait français couramment, maintenant, je suis étudiante et avec 17 années passées entre école lycée et fac, beaucoup (et je n'exagère pas) de mes "collègues" ne savent pas dire "je vais à l'école".
bon, on va dire que c'est l'arabisation de l'administration qui est derrière, j'essaie de trouver des excuses, pourquoi pas ? Ils aiment l'arabe, les poèmes de Nizar Kabani, les livres de Manfalouti...bah seulement non...

Je demande à Ines, une amie polytechnicienne s'il vous plaît, juste pour tester, devant un café et des muffins :
_ En quelle année Carthage a été détruite?
_Euh...je ne sais pas.
C'est pas grave, l'histoire et les dates, c'est pas ça la culture arabe, y'en a qui ne retiennnent même pas leurs numéros de téléphone.
_C'est qui Badr Cheker eEssayab?
_Euh...connais pas.
Bon, la poésie moderne arabe, c'est pas la tasse de thé de tout le monde..
_Donne moi un exemple d'un "morakab isnedi" ?
_C'est une danse ça ??
Je laisse tomber, faut dire que Ines parle bien français, mais quant à savoir le nom de la reine qu'on a guillotiné, elle sèche aussi.

_Dis, tu as fait quoi hier après-midi ?
Omar me répond tout fier
_J'ai joué au foot et c'était moi le capitain.
Toujours cette manie de corriger:
_Tu veux dire capitaine ...
_ Qu'est-ce que tu racontes, je suis pas une meuf moi !!
_Ouiiii, bien sur, que je suis bête; excuse-moi...
Examen des symptômes, diagnostic : Je pourrais dire oh, nous avons été déchirés entre cette vieille guerre occident orient, d'un coté, nous voulons renouer avec nos origines, d'un autre c'est la fascination qu'exerce l'occident, on sait plus quoi faire, quoi parler, quoi mettre, qu' apprendre, que laisser...Ce serait trop psychanalyser...
En bonne Tunisienne, il aurait fallu que je m'en prenne aux autres...autres : c'est le système éducatif, l'administration, le ministère, le système pourri, inclure le transport, la chaleur, le prix de l'essence et du lait et pour finir "lebled elkalba"...
Non mais franchement, qu'est-ce qui cloche ? ma tante est prof de français au lycée, ses élèves écrivent leurs devoirs en argot carrèment ! Et les profs d'arabe ou de philo, pareille, ils se plaignent du niveau médiocre, de la pauvreté du "bagage", des bases et du vocabulaire, eux, en bons Tunisiens, accusent les instituteurs du primaire forcèment...
Ma prof d'anglais en fac fait trois erreurs par minutes, une bonne moyenne comparée à celle du dentaire selon des amis à moi...Tout commence par là, si l'enseignante d'informatique de la primaire dit "donne-moi une CD Saleh" à des élèves qui apprennent à peine cette langue, c'est qu'il y a problème.
personne de mon entourage ne lit de recueils de poèmes arabes, Mahfoudh ou Jabrane...pire, presque personne ne LIT tout court. Dans le monde professionnel, ces étudiants d'aujourd'hui enverront des mails d'écoliers à des correspondants étrangers du genre "nous voulons vous félicitationner"...
Pour une maniaque du mot, de l'oral, je pense que la langue est un vecteur important, parler correctement, avoir en soi toute la panoplie et les nuances des mots et des sens pour pouvoir s'exprimer et dire, surtout dire parce que le language est le bien suprême de l'humanité...Maîtriser cet instrument qui fait que nous sommes humains, maîtriser ces sons et injecter une mémoire, plus qu'une photo...Une mémoire...Parce qu'en regardant l'histoire (de laquelle, on devrait tout apprendre) me fait dire que de la préhistoire, il ne reste que des os et de belles peintures, de Hugo, ses vers touchants et de Manfalouti, la sensibilité de sa plume.

_Je me suis fait chier au socio, je vais à la bivette.

_Pourquoi faire la Buuuvette ?

_Bah, pour prendre un capoussin, j'ai trop froid ! Regarde, j'ai la chaire d'ampoule.

_Mmm...Je vois ça...