dimanche, décembre 27

XY


Etre un homme…

Je ne parle pas de la pomme d’Adam, ni du reste…

Etre un homme et traîner en moi les gênes de la chasse, des combats pour le feu, les siècles de guerre, de viols, de crimes et de mort.

Etre un homme pour comprendre l’atrocité de ce monde et frémir de rage, pour serrer mes poings parce que je serais devenu civilisé et commander de sang froid les pires folies…

Etre un homme pour atrophier les glandes de mes larmes et atrophier le cœur et penser être bon, et penser être fort.
Je veux essayer ce poids en bas, et essayer surtout d’avoir leurs voix, je veux comprendre les méandres de leurs êtres et expérimenter par mes moyens leurs obsessions, leurs sensations.

Je veux savoir ce qui fait qu’ils ne comprennent pas, qu’ils regrettent peu, qu’ils se languissent pour le feu, pour lécher leurs brûlures un peu. J’aimerais savoir pourquoi un homme pense toujours avoir raison, pourquoi un homme ne regarde pas les ruines derrière, pourquoi un mâle garde toujours ses caprices d’enfant, qu’il réclame son dîner, qu’il ne fait pas son lit, qu’il attende patiemment qu’on lui épluche ses fruits.

Etre un homme, pour donner une cause au crime et donner une cause aux trahisons, à l’intolérant.

Je voudrais être un homme, pour essayer la dictature, pour essayer le vol, pour essayer le viol, pour panser mes petites plaies sans me préoccuper des morts, dehors…

Je n’accuse pas la testostérone, je n’accuse pas la verge…j’accuse l’histoire sanguinaire d’avoir fait des ces êtres à phallus des pilleurs de rêves et de tombes, et des femmes leurs douces et tendres qui soignent leurs plaies, calice à leur désir qu’ils abandonnent après.

Je veux être un homme pour me croire invincible.

Je veux être un homme pour oublier un instant les maux des êtres chers et être capables de ne penser qu’à moi, en moi, à mon nombril duveteux.

Etre un homme, un monsieur qui prie derrière l’Imam, un monsieur qui singe, et signe les destins et scelle, scelle les sorts, les torts et les cartons d’emballage de jaune…

Je ne parle pas de la pomme d’Adam...j’ai trop traîné ce crime, femme chassée du paradis, je veux glisser dans la peau de la malheureuse victime qui a suivi Eve et qui depuis, a tout fait pour faire de cette terre l’antidote de l’Eden…un enfer.

mardi, décembre 22

Petite, allume un feu...





L’hiver s’installe sous ma porte, dans les rafales de vent, il est là et quand claquent les portes, et quand les feuilles mortes ont fini depuis longtemps déjà, leurs courses folles jusqu’au sol…

Je ne les vois pas les gens qui se meurent de froid, on m’a parlé d’eux, on m’a dit: "ils sont là", derrière les portes closes des quartiers où on ne va pas, derrière les vitrines luisantes de nos cubes de béton, il y a de ces maisons où les briques percées, trouent la chair et les os…

Je ne les connais pas ces gens qui ne peuvent pas acheter du pain, Tunis est déroutante et trompeuse, même ces mendiants sourient et ce ne sont pas eux qui grelottent…

Tunis est trompeuse parce qu’elle cache ses blessés, son urbanisme débridé tourne le dos à la pauvreté…mais je sais, même si je ne les vois, je sais qu’il y en a des gens dans ma ville, sans visages, sans nom, qu’on côtoie dans les rues, qu’on frôle à peine parfois, des gens qui ont faim, une faim dévorante, de celle qu’on ne connaît pas…

Et parce que leur présence étouffe ma conscience, parce que ne pas les voir est bien plus invasif que de leur donner un visage et leur accorder un timbre, un « moi », je leur écris ce soir, je les montre d’un doigt absent.

Tunis est perfide, elle les terre dans son noir, dans les flancs de ses collines, dans les bas fonds de ses impasses, derrière le beau, les routes, derrière le calme et le bruyant…Mais Tunis ne m’aura pas…je les vois sans les voir, et leur absence est une torture…Ils rendent ma chance coupable et c’est bien ainsi, je ne me permettrais jamais les sachant dans les plis de ma conscience de dénigrer ma vie…je ne me permettrais jamais de me dire qu’"il y en a marre", que c’est laid, que je veux tout comme une enfant, leurs regards me tueraient…

L’hiver s’installe sous ma porte mais ma porte est close et le vent hurle et le vent frappe mais ne m’atteint pas…le prix du lait a beau grimper, j’en bois encore chaque matin…c’est dérisoire, c’est grandiloquent et futile mais je ne peux pas ne pas penser aux portes qui ne tiendraient pas…à ces cuisines lugubres et froides où l’on ne cuisine peut-être pas…

L’hiver s’installe sous ma porte et sous vos portes et sous leurs portes, mon hiver est juste dehors, mon hiver ne s’invite pas…